Christine Bretonnier-Andreani

Christine Bretonnier-Andreani est professeure agrégée de lettres Modernes, essayiste et poète, membre de la Société d’Étude de la Langue Française du XXe et du XXI siècles.  Elle est une spécialiste reconnue de Jean Giono.

Lecture musicale de poésies

Le 2 décembre 2023, à la médiathèque Luxembourg de Meaux, dans la cadre du deuxième salon des auteurs locaux, Christine Bretonnier accompagnée du pianiste Damien Michel, réalisait une lecture musicale de poésies issues du receuil « écho et contrepoint » aux éditions Maia, coécrit par Christine Bretonnier et Stéphane Marty.

Voyage au centre de « Montres »

Cette vidéo est un voyage au centre d’une œuvre de Christophe Alzetto « Monstres » créée sur commande pour illustrer l’essai « QUASI MODO / EXTRA MODUM » aux éditions MAIA de Christine Bretonnier. Dans un entretien filmé Christine Bretonnier, l’essayiste et poétesse et Christophe Alzetto, l’artiste plasticien, nous proposent un voyage au centre de « Monstres » et de l’univers peuplés de monstres de Giono.

Le lien d’Amour

Le lien d’amour, notes sur la sculture d’Antoine Pallavicini…


Le lien est ce qui ancre, en filigrane, les choses dans une durée, dans une temporalité intemporelle.

Cette torsion qui prend la forme d’un lien, d’un nœud, rend contigus des espaces hétérogènes : le vide et le plein ; le sculpteur tend à « préserver » comme l’écrit François Jullien à propos des peintres chinois, l’énergie qui pourrait potentiellement survenir en ce milieu. Le vide permettrait le déploiement d’un « souffle d’énergie »1. La fulgurance du « lien d’amour » puise toute sa charge intensive dans la lenteur propre à sa maturation : sculpter le vide n’apparaît pas comme un simple paradoxe, c’est ce qui « permet de circuler librement au travers et réussit à laisser passer (…), l’important n’est pas de déterminer ce qui passe, mais d’en préserver l’énergie. »2


1 François Jullien, La grande image n’a pas de forme (ou du non-objet en peinture), Paris, Seuil, 2003, p. 216.

2 Ibid, p. 120.

BABBU

Babbu, notes sur la peinture d’Antoine Pallavicini

BABBU

BABBU

Orphée ne croit pas à la mort. Il traverse l’enfer pour rechercher Eurydice. Antoine Pallavicini dans BABBU dessine ce qui ne meurt jamais, cette parole investie de l’amour s’originant dans l’enfance, parole mythique opposée à l’histoire et hantée du geste sacré qui la prolonge au-delà d’elle-même. Les visages du père et de l’enfant ont leur propre langue.

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Biographie d’Antoine Pallavicini

Antoine Pallavicini ou une manière d’être au monde, une biographie d’Anoine Pallavicini

 

 

Michaux nous prévient que le risque de la faiblesse – à étendre à la vulnérabilité – est de tomber dans une relation de dépendance vis-à-vis du monde :

« Je suis tellement faible (je l’étais surtout), que si je pouvais coïncider d’esprit avec qui que ce soit, je serais immédiatement subjugué et avalé par lui et entièrement sous sa dépendance ; mais j’y ai l’œil, attentif, acharné plutôt à être toujours bien exclusivement moi. »[1]

Antoine Pallavicini savoure sa propre vulnérabilité, cette façon d’être à fleur de peau, de tâter le pouls des choses, se lover dans les creux du monde, tout en échappant à toute forme de pression exogène. Imprégné du parfum envoûtant d’une Corse souveraine, il est habité de la force et de la puissance de son pays tout en fuyant toute relation de soumission. C’est un artiste dionysiaque inspiré par les muses de la musique et de la danse mais si son art est dionysiaque par ses origines, il est apollinien dès qu’il se métamorphose en sculpture, dessin, peinture.

Au commencement de tout son travail est l’émotion, la sensation, l’instinct. Toute cette sensualité caractéristique de l’enthousiasme dionysiaque a de quoi enthousiasmer l’esprit le plus pragmatique.

De l’art de la photographie, Antoine Pallavicini a gardé, à l’exemple de Delacroix, un œil perçant, sûr, à l’affut de la forme. Néanmoins il est homme à saisir la forme et l’esprit de la forme, ce qui fait toute la différence entre reproduction et métamorphose.

De ce regard, à la fois rempli de douceur, tout en étant transperçant, il caresse la forme à naître, l’effleure, la frôle, avant de la métamorphoser. Le bois vibre et devient instrument de musique au corps et à la sensualité féminine. Le bois se creuse et se tend pour que surgisse la cambrure d’une pointe de danseuse. Antoine Pallavicini transforme le bois en instant de grâce. L’artiste exerce son privilège qui l’excepte de tous les autres individus de pouvoir faire de son fantasme un objet réel ; le secret du comment et du pourquoi de l’opération demeure propre à son auteur, mais ce qui nous importe, à nous tous, spectateurs éblouis, c’est que ce fantasme qui lui est particulier, singulier, provoque dans le même temps, le surgissement de notre plaisir. Nous vibrons à l’unisson.

Mais si Antoine Pallavicini sait toucher la corde sensible de notre propre sensualité, il sait également nous emplir des larmes de la tendresse, de l’amour et de la compassion : je pense à ce dessin si intime du père mort ; de son baiser à l’enfant. Le dessin nous rend vulnérables, il nous renvoie à des notions de fragilité, de précarité, d’éphémère. Antoine Pallavicini trace une ligne perméable qui nous relie à lui plus qu’elle ne nous sépare. Le dessin du baiser du père à l’enfant laisse une trace de ce qui nous fuit. S’ensuit un trait particulier, à la fois frêle et fort. On comprend que ce n’est pas seulement l’exercice du voir qui est couché sur le papier mais la vision habitée par ce qu’elle porte de plus vulnérable : le sentiment de l’amour allant du père au fils qui devient, au fil du tracé, la passion du fils envers son père. Le tracé rend au père l’opportunité d’une renaissance ouverte sur l’éternité.

Christine Bretonnier-Andréani, docteur ès lettres


[1] Henri Michaux, Plume précédé de Lointain intérieur, nrf, Poésie / Gallimard

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Préface au catalogue de l’exposition de Marion Beaupère

Préface de Christine Bretonnier-Andréani du catalogue de l’exposition de Marion Beaupère lors de la manifestation « eclats d’Art » de Meaux, Mai 2008.

 

 

 

 

 

« Je la regarde… Je sens palpiter une tension qu’elle exhibe et dissimule à la fois, qui s’étire à travers sa chair lacérée, son parfum enivrant, ses veines sanguines, son goût sucré et ses battements silencieux. »1

Cette épigraphe de Marion Beaupère témoigne du primat des sensations corporelles, de la possibilité de réunion des pulsions de vie et de mort et du travail restaurateur qui peut s’opérer en l’inconscient dès que celui-ci symbolise. L’analyse de ses propres émotions n’en est que plus probante, car celles-ci sont pour cette artiste, plus difficiles à feindre et elles touchent chez le spectateur — qui sera lui-même prisonnier de sa propre pulsion scopique une fois en position de « voyant-voyeur » face aux différents tableaux — une zone plus obscure, plus vitale,
que celle du simple intellect. Marion, par delà chacune de ses oeuvres plastiques, peut jouir de l’omnipotence démiurgique du créateur, qui, comme l’a écrit André Green, est « transnarcissique ».


Les différentes toiles de Marion Beaupère sont comme un parchemin originaire, qui conserve, à la manière d’un palimpseste, les brouillons raturés, surchargés, d’une écriture originaire préverbale faite de traces cutanées. Morceaux de cuirs brûlés et usés à la main ; morceaux de cuir tissés et usés à la main ; peau d’autruche… sont autant d’inscriptions, de traces sensorielles tactiles. Ces diverses surfaces cutanées entrent en résonance avec un certain nombre de mythèmes fondamentaux de la peau : la peau arrachée, si son intégrité est conservée, figure l’enveloppe protectrice qu’il faut fantasmatiquement prendre à l’autre pour l’avoir à soi ou pour renforcer sa propre enveloppe charnelle. On pourrait choisir comme allégorie La peau de chagrin de Balzac qui se rétrécit symboliquement d’une façon proportionnelle à l’énergie, la force de vie, qu’elle rend possible. L’oeuvre de Marion est une oeuvre de vie et les écailles de lézard, ces morceaux de cuir brûlés, vigoureusement suturés sur la toile, sont sans doute sa manière à elle de « sauver sa peau ».


« Sauver sa peau ». L’enjeu théorique est considérable mais il exige comme chaque fois une attention un peu minutieuse portée à la langue ; la langue n’est-elle pas chair des mots?


Les toiles de Marion Beaupère expriment l’expérience de la déchirure de la peau imaginaire, l’érotisation de cette déchirure, mais plus encore, et cela grâce à la médiation de l’oeuvre d’art, la
suture de cette peau imaginaire au moyen de la ficelle ou de la corde… « corde et ficelle de Bretagne ». Ces multiples points de suture visant à la restauration, la régénération du Moi-peau. Les toiles de Marion Beaupère surchargées, ouvertes ou suturées, fournissent une peau symbolique qui sert à l’artiste de barrière contre le vide, ou le trop plein émotionnel.
Ce trop plein d’émotions et de sensations, Marion le crie par tous ces morceaux de peau fixés à ses toiles car de tous les organes des sens, la peau est le plus vital des organes : on peut vivre aveugle, sourd, privé de goût ou d’odorat mais sans l’intégrité de la majeure partie de la peau, on ne peut survivre. Elle transforme l’organisme entier en système sensible, trappeur de sensations : pression, douleur, chaleur…


Ce sont toutes ces sensations que le spectateur éprouve face aux toiles de Marion ; il éprouve le désir de toucher la matière de la toile saturée de pâte et de pigments, sa vue est tout autant sollicitée que son odorat et son goût ; la citation de Marion Beaupère elle-même que j’ai mise en exergue à cette préface, en porte témoignage. Il s’installe aussitôt, entre le spectateur et le peintre, un lien étroit, un échange, comme si le spectateur était invité à faire « peau commune » avec l’artiste : elle voit et nous voyons ; elle sent et nous sentons ; elle goûte et nous goûtons ; l’échange des signaux et des sensations se fait simplement sous la forme d’un double feed-back.


Quant à la dramaturgie des couleurs de Marion Beaupère, le blanc est si crucial, si déterminant qu’il reste une qualité matérielle, une couleur spécifique sur une surface spécifique. Ainsi, au milieu de ce blanc grenu, notre oeil est forcément attiré par ces grains de café, noisettes, coquilles de pistaches, morceaux de canelle qui saturent nos sens pour nous permettre de goûter, sentir ce que nous voyons ou plutôt ce que nous avons la sensation de toucher des yeux. Quant au rouge, il fait partie de ces couleurs auxquelles Van Gogh attribue la violence des « terribles passions humaines », fabuleux théâtre de la cruauté et de la transgression, cruauté définie ainsi par Antonin Artaud :

« Pas de cruauté sans conscience […]. C’est la conscience qui donne à l’exercice de tout acte de vie sa couleur de sang, sa nuance cruelle, puisqu’il est entendu que la vie c’est toujours la mort de quelqu’un. »2


C’est sans doute faute de parole que nous sommes parfois tentés de hurler notre mal de vivre ; et si la parole nous manque, ce n’est pas toujours faute de mots, c’est parfois faute d’oreilles :

« Nous cherchons peut-être des oreilles autant que des mots. »3

Cette citation de Frédéric Nietzsche me renvoie à celle de Marion Beaupère :

« “Écrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit.”4 Quand je lis cette citation de Marguerite Duras je me dis qu’on pourrait très bien substituer écrire par peindre. »


Christine Bretonnier, docteur es lettres, avril 2008
Membre de la Société d’Étude de la Littérature du XXe siècle

1 Marion Beaupère, novembre 2007
2 A. Artaud, le théâtre et son double, collection Idées, Gallimard, 1964
3 F. Nietzsche, Le gai savoir, § 342, trad. Alexandre Vialatte, Folio Gallimard
4 M. Duras, Écrire, Gallimard, 1993

5 Poèmes de Christine Bretonnier-Andreani

5 Poèmes de Christine Bretonnier-Andreani sur des photos de peintures et de sculptures de Antoine Pallavicini,

Septembre 2007

Tout voyage dans l’eau

Des nuages dispersés
Le ciel est si bleu…
Une pupille d’eau noire.
Premier parcours
Et l’arc-en-ciel des temps
Perce l’arche inépuisable.
Tendre et elliptique
Le satin plissé d’eau
S’écarte, ébloui, foudroyé
Par la beauté verticale et pure
D’une pointe tendue
Surgie de jours mêlés.

surgiedejoursmeles

Surgie de jours mêlés

 

 Muraille de silex
Assoupi dans un silence
Aux cent reflets…
Première forme, imparfaite
Ebauche d’un pied nu
Offert, impudique…
Magie d’un songe
Qui traverse le présent.
 
 Aux cent reflets
 Rêve fou
De guêtres plissées
Chatoiement du satin
Croisé sur les chevilles
Et la femme qui respire
Les lèvres du rêveur
Est là maintenant.
Elle attend.
Et lui aussi danse dans la lumière.
 
 Rêve fou 
Tulipes aux cinq pétales
Ses doigts fins laqués de sang vermeil
Espèrent le geste – miroir
Qui la dressera au seuil du cri.
 tulipeauxcinqpetales
 Tulipe aux cinq pétales
 Fleurs – ciseaux des jambes croisées
Comme des pétales libres
Quartiers d’ombre de sa chair mouillée.
Rêve fou
De rose hissée
Jusqu’à la hauteur
Vermeille
De la cicatrice enfouie
Dans son écrin de velours noir.
 
Secret